Régis Belleville, le «chamelier blanc», affronte en autonomie extrême les zones hyper-arides du Sahara. Il y teste les limites de la survie en milieu hostile.
A quand remonte votre passion pour le désert ? Pour les zones hyper-arides ? Régis Belleville : J'ai été assez marqué petit, vers l'âge de 8-9 ans, en accompagnant mon père qui était coopérant en Algérie ; nous passions nos vacances d'hiver dans le Sahara. Cela a éveillé un goût chez moi pour les horizons différents.
La véritable accroche remonte à mes premiers départs en humanitaire, vers 20 ans, lorsque je traversais le désert en camion. J'ai travaillé ensuite dans des mines d'or, quelques mois pendant plusieurs années consécutives, et me suis intéressé aux croyances ancestrales animistes liées à cette extraction.
Qu'est ce qui vous a décidé à affronter seul le désert ? Pourquoi l'autonomie extrême ? R.B : A l'âge de 30 ans, j'en ai eu marre du brouhaha humain. Le Sahara m'impressionnait énormément. J'ai voulu me confronter à un milieu extrême.
Pour y survivre, il a d'abord fallu que j'apprenne le métier de chamelier avec les touaregs, dans le nord de la Mauritanie et le nord du Mali, dans des zones hyper-arides du Sahara. Je ne travaille qu'avec des nomades.
J'ai appris le métier de méhariste auprès de différentes ethnies. Le travail n'est en effet pas le même pour l'élevage et le matériel chez les touaregs, berbères ou les toubous. Ils ne partent pas seuls car il est stupide de risquer les chargements d'un dromadaire.
Les zones hyper-arides ne les intéressent pas car il n'y a pas de pâturage. De plus, d'après la croyance populaire, ces espaces sont les lieux de Dieux tels les Djinns, et d'autres esprits qu'il vaut mieux éviter.
A quand remontent vos premières méharrées dans ces zones hyper-arides ? R.B : La première remonte à 1998, soit 800 kilomètres en un mois entre Chinghetti et Kiffa, en essayant de retrouver une ancienne piste du commerce caravanier. Après cette première méharée, j'ai traversé la Majâbat al-Koubra en 2002, puis tenté la traversée de la totalité du Sahara - sept pays - par le 20ème parallèle en 2005-2006, un échec après 4 000 kilomètres et cinq mois de marche.
On a été récupéré dans le Ténéré. Le principe de la méharée c'est de marcher tout de temps. En effet, lorsqu'on s'arrête on consomme de l'eau pour rien. En réalité ces méharées demandent énormément de préparation. Il faut plusieurs années avant de se lancer dans de grandes opérations.
Cette autonomie extrême vous a-t-elle fait prendre de grands risques pour votre vie ? Notamment en risquant de trouver un puit sec ? R.B : J'essaye de limiter au maximum la prise de risque. Les puits secs sont assez rares et je m'informe très sérieusement avant de partir. Pendant ma plus grande traversée, j'ai connu un problème de confusion mentale.
Sur cette zone, je savais que les caravanes étaient arrêtés pendant ce mois-là. J'avais heureusement un véhicule en alerte, ce qui n'est toutefois pas une garantie totale compte tenu des risques de tempêtes de sable.
La connaissance des chameaux devient alors essentielle ? R.B : Le métier de méhariste est d'abord axé sur le dromadaire. Il faut en effet pouvoir anticiper sur les manques éventuels ou une possible pathologie de l'animal. Ils vont en effet subir une très grave déshydratation car ils ne pourront pas boire pendant tout le voyage. Le principe de la méharée est le suivant : j'achète des dromadaires en bonne forme et ils arrivent épuisés.
Que peut-on dire de cet animal ? R.B : Je continue encore d'apprendre sur le métier de chamelier. C'est l'animal le mieux adapté aux terrains désertiques. Il a trois formes d'adaptation, comportementale, physique et physiologique. Il peut ingurgiter 130 litres d'eau.
Avec un chameau effectuant des efforts constants, chargé, marchant huit à neuf heures par jour, nos expériences ont permis de porter la durée du voyage de trois semaines maximum avant 2002 à 40 jours aujourd'hui. On fait tout pour que ces animaux conservent leurs bio-rythmes, qu'ils marchent à leur rythme. C'est un animal en qui on peut avoir confiance s'il est bien dressé. Par contre il peut vous abandonner s'il vous trouve mauvais chamelier !
Parlez-nous un peu de la gestion de l'eau pendant votre voyage. Vous êtes sans cesse en état de déshydratation... R.B : Je gère un effet de déshydratation du début à la fin de la méharée. Dans ces conditions, une marche en plein soleil de 8 à 9 heures, c'est 10 à 12 litres d'eau pour la thermo-régulation physiologique, la transpiration ; j'essaye de me limiter à quatre litres par 24 heures. J'évite ainsi de boire dans la journée, aux heures les plus chaudes, et je régule la nuit pour repartir le lendemain sur des bases physiologiques saines.
Je calque aussi beaucoup ma façon de faire sur les traditions nomades et commence souvent le soir par un thé. Il s'agit alors de remettre en marche les fonctions annexes. Avec les décharges permanentes d'endorphine, dopamine et adrénaline, le corps agit différemment et privilégie les organes vitaux au dépend des masses musculaires. Les premiers signes de déshydratation en fin de journée ce sont les crampes. Je ne consomme en outre que de la nourriture nomade.
Vous étudiez vos propres réactions dans cet environnement hostile. A quand remonte la démarche scientifique de vos méharées ? Quelles sont-elles ? R.B : Le fait de survivre dans le désert c'est déjà apprendre à connaître son biotope, la faune et la flore, ne serait-ce que pour nourrir les dromadaires. Plusieurs thématiques sont développées. D'abord la collecte de météorites pour le Museum d'histoire naturelle. Je sillonne des zones où il n'y a plus de sédimentation, des reliefs peu fréquentés par les populations humaines, ce qui permet également de ramener des échantillons non contaminés.
Je travaille aussi comme technicien de terrain à la collecte de micro-organismes extrêmophiles qui vivent dans des sédiments très anciens, notamment des bactéries remis en culture permettant de produire des molécules inconnues. Le dernier volet, suite à mon accident dans le Ténéré, porte sur l'étude de la psychologie cognitive, et sur la physiologie liée à la déshydratation et à la solitude.
Mon but est de rester en autonomie le plus longtemps possible. Sur de longues méharées, je fais très attention aux coups de chaleur, qui peuvent être mortels en quelques heures, et au fait que l'organisme élimine beaucoup moins les impuretés dans le sang, avec un risque cardiaque à la clé.
Sur le plan humain et personnel, que vous apporte vos expériences dans le désert ? R.B : J'ai aujourd'hui besoin de cette solitude, elle fait partie de mon équilibre. Ces expériences me donnent également une vision très éloignée de nos valeurs, de nos réflexes de consommateurs. C'est même l'opposé, on est dans l'économie de tout, de l'eau, de la nourriture. Un devoir d'humilité, sachant en plus que l'homme est le mammifère le moins adapté au désert.
Je m'inscris ensuite dans une démarche de diffusion de la connaissance, par le biais de mes livres et films. La communication est importante également dans le cadre de la recherche de sponsors. J'essaye alors de faire passer un message en particulier, celui de la menace qui pèse sur les espèces animales.
Le tourisme présente-t-il plus d'avantages ou d'inconvénients pour ces régions ? R.B : C'est difficile de globaliser. Les régions qui vivent essentiellement du tourisme sont très localisées et ne représentent que 10% du territoire. Cette activité profite d'abord aux agences de voyages.
Les nomades en bénéficient aussi en louant leurs dromadaires aux touristes ; or ils pratiquent cette activité en hiver, pendant une période où ils les laissaient auparavant se reposer dans les pâturages. Ce qui provoque un tiers de perte des camélidés dans l'Adrar, le nord mauritanien. Je précise toutefois que l'espèce n'est pas en danger : on trouve en Mauritanie autant de dromadaires que d'habitants !
© oopartir 2009 - Propos recueillis par Vincent de Monicault
En savoir plusVous trouverez plus d'infos sur Régis Belleville sur le site
www.regisbelleville.com