10/07/2010
La Mauritanie, comme beaucoup d'autres
destinations, menacée par les "mises en
garde" du Quai d'Orsay sur son site internet
Les voyageurs en perdition - à l'exception des journalistes et des humanitaires - paieront désormais les frais de secours auparavant pris en charge par l'Etat.
Selon l'article 14 du de loi de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, adopté par le Parlement le 12 juillet et portant sur l'action extérieure de la France,
"l'Etat peut exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées ou dont il serait redevable à l'égard de tiers à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger au bénéfice de personnes s'étant délibérément exposées, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer".
La loi vise les
"agences de voyage et touristes", a fait valoir Bernard Kouchner. Celles-ci n'ont d'ailleurs pas été longues à réagir, et notamment Allibert Trekking, leader français du voyage à pied.
«Ce projet me paraît à la fois démagogique, de circonstance, inopportun, et, compte tenu de sa rédaction, susceptible de fragiliser l'activité de tour-opérateurs adeptes d'un tourisme dit d'aventure, mais surtout d'un tourisme responsable» indique son directeur général,
Gérard Guerrier. Voici ci-dessous son communiqué de presse.
© oopartir.com - 2010 - Texte et Photo Mauritanie VDM
Le Communiqué de presse de Gérard Guerrier, DG d'Allibert Trekking
Gérard Guerrier, DG d'Allibert
Trekking © DR
« 1. Ce texte introduit la notion de "citoyen responsable" (qui sera secouru gratuitement) et celle de "
citoyen irresponsable" (qui devra payer). Cette notion même pose un problème d'équité. Un touriste secouru dans le désert mauritanien ou algérien sera considéré comme irresponsable et devra payer ses secours, alors qu'un navigateur démâtant au large du Chili lors d'une course en solitaire, un skieur extrême s'engageant sur une pente à 50°, un automobiliste, hors la loi, ayant dépassé la limite de vitesse ou en état d'ivresse, seront secourus gratuitement.
2.
Ce texte est de circonstance, même si ces circonstances datent un peu. Il a été rédigé à la va-vite à la suite de l'affaire du Tanit (skipper enlevé et tué en Somalie) et l'enlèvement d'un touriste individuel dans le Sud-Ouest pakistanais. Ces affaires, alors médiatisées, sont rarissimes et ne justifient pas une loi. Si l'Etat veut faire des économies, il doit y avoir mieux à faire. S'il veut responsabiliser les professionnels, ce n'est vraiment pas la peine, nous le sommes très largement comme le prouve notre histoire !
Dans la même lignée, on peut se poser la question :
A quoi sert un Etat s'il n'est plus capable d'assurer en France et à l'étranger la sécurité de tous ses citoyens ? 3. La notion de "mise en garde" est pour le moins fumeuse ! On suppose qu'il s'agit des mises en garde du Quai d'Orsay. Or, la majorité des pays font l'objet de mises en garde du Quai d'Orsay, y compris la Norvège où l'on met en garde le touriste sur la pratique de la montagne (et pourquoi pas de la baignade en eaux froides !).
A titre d'exemple, voici une liste de quelques pays/régions marqués en "orange" (formellement déconseillé sauf raison professionnelle impérative) ou "rouge" (formellement déconseillé) par le Quai d'Orsay.
- L'ensemble de l'
Algérie (y compris le Sud algérien, tassili N'Ajjer, parcouru chaque année par des milliers de touristes, amoureux du désert, sans aucun souci, depuis de nombreuses années).
- La
Mauritanie : en rouge et en orange depuis l'attentat de décembre 2007 et l'annulation du Paris-Dakar. Dans le massif de l'Adrar (Atar), on ne connaît pourtant aucun incident.
- Le Ladakh et le Zanskar au
nord de l'Inde : un haut lieu du trekking où on ne connaît pas d'incident susceptible de remettre en cause notre activité.
- Les montagnes du Harraz au
Yémen où on ne connaît aucun incident depuis de nombreuses années.
- L'
est de la Turquie (Ararat).
- Le secteur de l'
Elbrouz (Russie) où nous envoyons des groupes sans problème depuis plusieurs années, etc.
A l'inverse, certains pays comme l'Egypte, le Venezuela, le Kirghizstan bénéficient d'une mansuétude surprenante ! Pour l'anecdote, on notera que la Corse et les banlieues françaises font l'objet de "mises en garde" de la plupart des sites gouvernementaux étrangers.
Les avis du Quai d'Orsay, souvent inégaux, partiels, sont loin d'être la seule référence pour les professionnels, en matière de sécurité et ne peuvent être la référence en matière de loi. Le site est de qualité très inégale en effet, les mises à jour sont souvent faites avec du retard, les pays ne sont pas traités également, les cartes (ex. : Pérou) sont souvent fausses et ne correspondent pas au texte. Nous complétons heureusement nos informations par un abonnement auprès de sites d'autres pays, souvent plus sérieux (Royaume-Uni, Allemagne, etc.), d'instituts spécialisés (ex. : Sécurité Sans Frontière), de nos partenaires locaux, de nos contacts formels et informels avec les employés d'ambassade, les gouvernements étrangers, et de nos missions sur le terrain (ex. : Ethiopie, Mauritanie, Yémen, Algérie, etc.).
4. La notion même de "motif légitime" pose problème... Est-il vraiment possible d'établir une hiérarchie de la légitimité entre le touriste occasionnel, le passionné du désert, le volontaire d'une ONG, l'étudiant stagiaire, le journaliste free-lance, le géophysicien travaillant pour une société étrangère ?
L'adoption de ce texte improvisé, pointant du doigt les tour-opérateurs pratiquant le tourisme responsable, risque d'entraîner progressivement la désaffection de destinations sans risque objectif, mais avec un véritable risque juridique et financier... Ce sera alors la mort de la Mauritanie, du désert algérien, etc. où l'activité des randonneurs représente la seule activité (un trekkeur voyageant une semaine dans l'Adrar fait vivre un Mauritanien pendant un an) pour les populations. Pour survivre, celles-ci n'auront d'autres choix que se rallier aux trafiquants et terroristes qui ne demandent qu'à se développer. Il est sans doute trop tard pour arrêter la machine gouvernementale et législative. On peut regretter cette improvisation qui dure depuis près d'un an ! Si ce texte vise vraiment les agences de voyages et les touristes, comme l'a précisé monsieur Kouchner, on aurait apprécié que le Quai d'Orsay se rapproche des opérateurs qui travaillent régulièrement sur le terrain dans les zones « déconseillées » depuis des années, en toute responsabilité et sans incident majeur ! Notre avis vaut bien celui de fonctionnaires qui changent de poste tous les deux ou trois ans et qui, souvent, ne voient leur pays d'accueil que par Internet interposé et leurs résidences "bunkerisées".
»
Gérard Guerrier,
Directeur général, Allibert Trekking