Le 5 octobre sort un nouvel opus touristique avec Franck Dubosc, Bienvenue à bord. Après le camping, la croisière fait recette. Mais le temps de La Croisière s'amuse est loin, comme le souligne une professeur en marketing
Il est bien loin le temps du paquebot de
La Croisière s'amuse et de son Commandant Stubbing. Dorénavant, le bateau se fait plus grand, majestueux, clinquant. La croisière est un tourisme particulier. Voyager en paquebot de croisière c'est cumuler l'hôtel, le club et le circuit, tout en ayant ceci de particulier : elle enferme le vacancier.
Contrairement à un hôtel dont il est possible de s'échapper, le croisiériste n'a pas d'autre choix que de rester sur le bateau. Ses seules possibilités de s'évader sont les moments où le bateau a accosté, et où il est libre de le quitter pour partir en ville.
Une île flottante
Lieu clos par excellence, tout est très organisé sur le paquebot : de la montée à bord au retour à terre, en passant par les excursions, les dîners, les soirées ... Ce lieu n'est pas sans rappeler l'île, où, contrairement à Robinson, les touristes ont choisi cet isolement et cet enfermement. Comme l'affirme Gay (2001), « ces îles sont alors devenues l'archétype du retranchement touristique, garantissant calme et sécurité aux touristes ». Loin d'être une île déserte, le paquebot est peuplé.
Ainsi, les vacanciers peuvent vouloir se retirer dans des endroits calmes mais l'exigüité des cabines (de 15 à 45 m²) ne le leur permet pas. Les cabines intérieures ne disposent ni de balcon ni même de hublot, et les vacanciers de ces chambres ont intérêt à ne pas trop y rester, sinon rapidement, ils risquent de perdre leurs repères temporels, ne distinguant plus le jour de la nuit. S'ils paient moins cher lors de la réservation, il est fort probable qu'ils fréquentent davantage les boutiques ou les bars du paquebot et consomment plus que les autres, ironie de l'économie !
Bienvenue en Folklorie
L'imaginaire préalable au voyage qui accompagne tout primo-croisiériste est empli des images de
La
Croisière s'amuse, la série américaine des années 1970 et 1980.
Les vacanciers ont dans la tête une croisière a priori, et s'attendent à confronter cette image idéale avec la réalité : rencontrer l'hôtesse qui leur est dédiée, le Commandant lors de la soirée de gala, déguster des cocktails au bord de la piscine... et tous ces codes sont heureusement reproduits sur les paquebots.
Pour conserver cette image de vacances idéales et pour les moins téméraires des vacanciers (certains ne descendent jamais à terre), les organisateurs de croisières organisent des reconstitutions des lieux d'accostage sur le paquebot. Ainsi, il est possible, après l'accostage à Tunis d'avoir une reconstitution d'un souk, caricature de l'« exoticité » (Lardellier, 2008).
Les objets artisanaux abondent, mais sans les désagréments que l'on peut rencontrer dans les souks (ce qui fait pourtant la typicité du lieu) : la peur de se faire avoir, la qualité des produits, la poussière, le marchandage, c'est un souk folklorisé, aseptisé.
Le croisiériste est ainsi encouragé à jouer avec l'« authentoc » (Cova et Cova, 2004). Sans être descendu du paquebot, il peut apporter des preuves de sa présence sur les lieux, alors qu'il n'y était pas (achats de cartes postales sur le bateau et postées par les membres de l'équipage qui descendent à terre, album photo des principales escales que l'on peut acheter à bord ...). Le vacancier peut se laisser porter, l'organisateur de la croisière a fait sa croisière à sa place.
Et les vacances dans tout ça ?
La croisière donne au touriste la sensation qu'il découvre tout. D'un port à l'autre, les paysages sont
différents, on se couche dans une ville, on se réveille dans une autre, la ville, la langue, les odeurs, tout est différent. Non seulement, il y a rupture entre le quotidien et le temps des vacances, mais il y a aussi discontinuité entre les étapes du voyage.
Contrairement à un circuit où l'on visite une zone géographique en tentant d'en saisir la profondeur, la croisière organise une picorée des destinations, un échantillon de vacances.
C'est certes un butinage des destinations, mais aussi le moyen de découvrir rapidement un lieu touristique. Cette succession de lieux de visite peut perturber les vacanciers, ne sachant plus ce qu'ils ont vu, ni même le prochain endroit à découvrir.
Pour limiter l'effet anxiogène de ces butinages vacanciers, les croisiéristes s'accrochent à trois pôles : la piscine, les buffets et les spectacles. La piscine est leur lieu de prédilection, elle permet de regarder le paysage tout en bronzant et en participant aux jeux, activement par la constitution d'équipe ou les encouragements, ou passivement en regardant simplement.
le paquebot du futur ?
Les buffets sont un moment fort de la croisière. L'abondance de nourriture ne laisse rien supposer des difficultés d'approvisionnement. Le buffet de minuit permet de découvrir les coulisses de la croisière : les passagers, assiette à la main, déambulent dans les cuisines, devant les buffets «arcimboldesques» (Lardellier, 2008). C'est le seul moment de la croisière où les touristes peuvent entrer dans les lieux interdits habituellement. Le spectacle du soir est « l'apothéose de la journée ».
Les touristes, qui d'ordinaire consomment peu de spectacles, peuvent ici en découvrir plusieurs. Cette organisation quasi-infaillible privilégie le consensuel à l'originalité : les spectacles restent classiques, favorisant la danse et la magie plutôt que les textes (la clientèle étant de nationalités différentes), afin de satisfaire le plus grand nombre et éviter les déceptions.
Tout comme Camping et Camping 2 ont accentué l'essor de ce type d'hébergement, on peut augurer que la sortie prochaine de Bienvenue à bord entretiendra, voire accélèrera cette tendance touristique. Si la croisière ne s'amuse peut-être pas plus, en tous cas, elle s'amusera plus nombreuse !
© oopartir.com - 2011 - Emilie Breuil,professeur-chercheur en marketing à l'EM Normandie. Elle rédige une thèse sur l'expérience touristique à l'IAE de Caen Basse-Normandie.
Bibliographie. Cova V., Cova B. (2004), « L'hyperconsommateur, entre immersion et sécession », in Aubert N.,
. L'individu hypermoderne, Editions Eres, Paris, p. 199-213
. Gay, J.-C. (2001) « L'île-hôtel, symbole du tourisme maldivien », Les cahiers d'Outre-mer, n°213, pp.26-52
. Lardellier, P. (2008) « Les voyageurs statiques », L'Autre Voie, n°4, http://www.deroutes.com/statik4.htm